Chasse
aux sorcières à Hollywood ?
Dans la patrie du « Bien »
et de la liberté, les artistes et intellectuels s’étant
opposés à l’intervention en Irak doivent rendre
des comptes. Loin du spectre d’un retour du maccarthysme,
les appels au boycott sont surtout le fait de groupes de pression
et des médias conservateurs. In fine, les lois du
marché restent les plus puissantes pour mettre les contestaires
au pas.
Dès le 12 septembre 2001, Ari Fleischer,
le porte-parole de la Maison-Blanche, avait prévenu : «
A partir de maintenant, il y a les choses que l’on peut
dire et celles que l’on ne peut plus dire. » Un
avertissement que n’ont visiblement pas écouté
les acteurs, chanteurs ou écrivains américains engagés
contre la guerre en Irak. Dès septembre 2002, ils sont plus
d’une centaine à publier une pétition pacifiste.
Le 23 mars dernier, lors de la cérémonie des Oscars,
le réalisateur Michael Moore interpelle le Président
des Etats-Unis : « Honte sur vous, monsieur Bush !
» Applaudissements chez les uns, grimaces chez les autres.
Dès le lendemain, l’agitateur est pris à partie
sur Internet où sont en outre diffusées les images
des célébrités qui ont osé applaudir
son allocution incendiaire. Artistes et intellectuels font rapidement
les frais de leur engagement. Tournage annulé pour Sean Penn,
manifestation caritative reportée pour Susan Sarandon, disques
piétinés en pleine rue par une foule en colère
pour les Dixies Chicks. La chanteuse de ce groupe de country
avait déclaré sa honte d’être texane comme
Bush. |
Le réalisateur Michael Moore lors de la cérémonie
des Oscars :
"Je voudrais remercier l'Académie
d'avoir promu mon film, d'avoir développé mon image...
et de m'avoir donné une chance de cracher sur l'Amérique,
le pays qui a rendu tout cela possible... Merci !"
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Une revanche conservatrice
Rien ne permet d’affirmer que la « liste
noire » d'Hollywood, dénoncée par Sean Penn,
existe bel et bien. De son côté le gouvernement républicain
semble se tenir à l'écart. En réalité,
les antiguerres sont devenus la cible de réactions patrioriques
plus ou moins spontanées des médias et des militants
conservateurs.
Le 19 mars, le New York Post publiait une liste de comédiens
qualifiés de « suppôts de Saddam ».
La philosophe et cinéaste Susan Sontag est comparée
dans le même quotidien à Oussama Ben Laden dans sa
volonté « de détruire l’Amérique
». Sur Internet, des sites comme boycott-hollywood.us
ou averageamerican.blogspot.com
prétendent se faire l'écho du sentiment profond du
peuple américain : un soutien sans faille à George
Bush, loin des états d'âmes de stars multimillionnaires.
Les intellectuels et artistes à boycotter y sont répertoriés
à côté des entreprises françaises et
allemandes.
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Le caractère étroitement partisan de
ces sites est pourtant évident. Sur boycott-hollywood, Jennifer
Anniston est épinglée pour avoir critiqué Reagan.
Une chronique sarcastique explique au visiteur comment reconnaître
à coup sûr un liberal, comprenez un américain
de gauche. Le souvenir du 11 septembre et la récente victoire
militaire semblent avoir galvanisé les militants d'une certaine
droite américaine. L'objectif avoué est ici de renverser
la supposée domination des démocrates sur le milieu
intellectuel et artistique outre-atlantique. |

Susan Sarandon lors d'une manifestation pacifiste : "Je
ne me souviens pas d'une époque où les gens avaient
aussi peur de s'exprimer sur un sujet" |
La loi du marché
Plus efficace que n’importe quel lobby, plus
insidieux qu’une quelconque censure, la loi du marché
exerce les pressions les plus efficaces. En quelques jours, les
ventes du dernier album des Dixie Chicks se sont effondrées
de 40%. En femme d’affaire avisée, Madonna a annulé
la diffusion du clip pacifiste destiné à annoncer
son prochain disque. Quant à Martin Sheen, qui endosse l’habit
du Président dans la série « A la Maison-Blanche
», il a été poliment prié par ses producteurs
de mettre un bémol à son indignation. Pour des stars
dont la popularité étalonne la valeur marchande, il
est préférable d’éviter toute prise de
position qui puisse nuire au box-office. Dans la très consensuelle
industrie du divertissement, les artistes sont priés
Sébastien Lebourcq
Mardi 28 avril. 18h00
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